19 juin 2011

INTERVIEW





Depuis mi-mai 2011, l’artiste française Élodie Huet (*1973 en France, vit et travaille à Paris) est au Casino Luxembourg 
pour une résidence d’artiste de huit semaines. Une exposition à l’« Aquarium », fruit de son travail sur place, clôture son séjour. Élodie Huet, une artiste sensible à son entourage, explore, strate par strate, son terrain d’accueil. Découverte(s).


Nadine Clemens : Élodie, qu’est-ce qui t’a motivée à présenter un dossier pour la résidence d’artiste au Casino Luxembourg ?

Élodie Huet : D’emblée, j’ai trouvé l’« Aquarium » – l’espace vitré dans lequel les projets de résidence du Casino ont lieu – très inspirant. Il s’agit d’un module architectural qui, bien que faisant partie intégrante du bâtiment, bénéficie néanmoins d’une certaine autonomie. Avec ses grandes surfaces vitrées, il fonctionne comme un espace intermédiaire entre l’intérieur et l’extérieur. Aujourd’hui, c’est mon lieu de travail et j’y passe une partie de mon temps de résidence. J’ai pu constater la relation qu’il peut y avoir entre la vie publique – avec les passants et les touristes qui se promènent sur le boulevard Roosevelt, les voitures qui circulent, etc. – et la vie privée, c’est-à-dire mon lieu de travail temporaire. Cette notion de glissement entre les espaces m’intéresse beaucoup.


NC : Comment vis-tu le temps de ta résidence ? De quelle manière cette expérience influence-t-elle ton travail ?

ÉH : D’une part, je considère la résidence comme un moment de solitude, puisqu’on arrive dans un autre espace-temps, inconnu et nouveau. D’autre part, une telle période passée ailleurs est propice à la rencontre. Pour moi, il s’agit d’un moment privilégié à l’introspection, d’une occasion pour réfléchir à de nouvelles œuvres. Celles-ci sont presque naturellement inspirées par l’espace et par le contexte particulier dans lequel je me trouve en tant que résidente temporaire. Le projet que je réalise sur place traite ainsi de la relation personnelle que j’ai avec mon lieu d’accueil.


NC : Un des projets que tu réalises est une série de 30 cartes postales, éditées à 2000 exemplaires chacune. Pourrais-tu nous en dire plus ? Comment choisis-tu tes motifs ?

ÉH : Au fil du temps, je découvre de nouvelles choses. Chaque jour, je prends des photos de ce qui m’entoure : des objets dans l’espace urbain, des fragments d’architecture, des éléments de paysage, … Ce sont des détails qui peuvent paraître anodins mais qui, par le cadrage photographique et par le regard que je porte sur eux, peuvent acquérir une certaine importance. Comme un criminologue à la recherche d’indices, je scanne l’espace qui m’entoure ! Il s'agit dans ces images de prélever des bouts de réalité subjectives, des détails principalement architecturaux, des curiosités « anti-touristiques ». Pas totalement l'inverse du décor de carte postale, mais ils pointent des indices d'organisation de la ville.
Parmi les photos que je prends quotidiennement, certaines font l'objet d'une édition de  cartes postales et sont intégrées dans le dispositif scénographique mis en place à l'aquarium. . J’invite les visiteurs à venir les récupérer ou, pour le dire autrement, à se les approprier. L'exposition prend ainsi forme tout au long de la résidence et, paradoxalement, tend aussi à disparaître


NC : Ton projet s’intitule Restore Hope. Peux-tu m’expliquer pourquoi ?

ÉH : Restore Hope est le nom d’une opération militaire qui a été menée au début des années 1990 par les forces américaines sous l’égide des Nations Unies en Somalie. Le but de cette opération était de faire cesser les hostilités entre la Somalie et l’Éthiopie, et à mettre un terme à la guerre civile. La mission Restore Hope s’est soldée par un échec. Pour moi, Restore Hope se traduit métaphoriquement par le regard extérieur que l’on peut porter sur un pays. Les bonnes intentions que l’on peut avoir au départ, ne valent pas grand chose si elles ne trouvent pas un écho favorable. Je me suis installée au Luxembourg et j’espère pouvoir apporter un regard autre sur cet environnement. Le travail que je développe ici  est basé sur la perception qu'on peut avoir d'un milieu  inconnu, et sa transmission à l'extérieur. Pour moi, réaliser un travail qui tomberait sur de sourdes oreilles constituerait un échec.